Abrogation de la loi sur le harcèlement sexuel par voie de QPC
Auteur : FORTUNET Eric
Publié le :
04/06/2012
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Les médias se sont émus de la récente décision du Conseil Constitutionnel du 4 mai 2012 qui vient d’abroger un texte que quelques-uns avaient qualifié de « bévue législative ».
Rappelons les textes successifs (I) et la décision rendue (II) et tentons d’en tirer quelques conséquences (III).
I/ Les textes sur le harcèlement sexuel
10 ans avant la consécration du harcèlement moral par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, le législateur avait, par la loi du 22 juillet 1992, décidé de sanctionner le harcèlement sexuel comme « le fait de harceler autrui en usant d’ordres, de menaces ou de contraintes, dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle, par une personne abusant de l’autorité que lui confère ses fonctions ».
L’incrimination était complétée par la loi du 17 juin 1998 qui proposait de sanctionner également les « pressions graves » utilisées aux mêmes fins.
Le texte devait être réformé par la loi de modernisation sociale qui, consacrant au Code du travail la notion de harcèlement moral, ramenait le harcèlement sexuel au fait de « harceler autrui dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle ».
C’est sur la base de cette incrimination que de nombreux délinquants ont été poursuivis et condamnés.
II/ La décision du Conseil constitutionnel sur QPC
Selon le principe de légalité des délits et des peines, le citoyen ne peut être poursuivi, et condamné, qu’à condition d’avoir enfreint un texte répressif clair et précis, ce qui doit permettre au juge, en matière délictuelle ou criminelle, de caractériser l’élément légal de l’infraction, l’élément matériel et encore l’élément intentionnel ; car il est difficile de caractériser une intention délictuelle sur un texte qui manque de clarté…
Ce n’est qu’à partir du 1er mars 2010 que la réforme instituant la « QPC » est entrée en application, réforme qui permet à tout justiciable d’inviter la Juridiction appelée à le juger à s’interroger sur la constitutionnalité du texte qui lui est opposée en démontrant, avant tout débat et donc « prioritairement », que le débat est sérieux, que la constitutionnalité n’a pas été déjà consacrée et que l’inconstitutionnalité alléguée aurait évidemment une incidence majeure sur le dossier soumis au juge.
En l’espèce, à propos du délit de harcèlement sexuel, le prévenu demandait au juge de s’interroger pour savoir si l’article 222-33 du Code pénal, tel que rédigé dans la loi du 17 janvier 2002, n’était pas contraire aux dispositions de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen et à l’article 34 de la Constitution, ainsi qu’au principe de la légalité des délits et des peines pour être bien imprécis.
La Chambre criminelle de la Cour de Cassation a, par arrêt du 29 février 2012 (pourvoi n° 11-85.377), a considéré la question comme suffisamment pertinente et sérieuse pour qu’elle soit transmise au Conseil Constitutionnel.
Dans sa décision du 4 mars 2012, le Conseil Constitutionnel a considéré que « les éléments constitutifs de l’infraction » n’étaient pas « suffisamment définis », et qu’ainsi, ses dispositions méconnaissent le principe de la légalité des délits et des peines et doivent être déclarées contraires à la constitution. Il a retenu qu’il faudrait que le texte comporte des précisions sur la nature, les modalités et/ou les circonstances des agissements réprimés.
Il faut ici faire observer que le Conseil Constitutionnel, dans ses décisions de non-conformité, adopte parfois une position particulière en ce sens qu’il prévoit un effet différé à sa décision ; ainsi, en matière de garde à vue, et pour des raisons d’ordre public, avait-il imparti au législateur un délai pour que la loi, abrogée à effet différé, soit remplacée pendant ce délai par un texte nouveau.
Il est remarquable de constater qu’en matière de harcèlement sexuel, l’abrogation a été immédiate, c’est-à-dire sans effet différé.
C’est cette situation qui a – complémentairement - choqué les victimes et ceux qui les soutiennent.
III/ Quelles conséquences tirer de la décision rendue
Elles sont au nombre de 3.
1. Il faut s’attendre, le nouveau Président de la République l’avait annoncé, à ce que le législateur reprenne la plume pour, rapidement, remplacer le texte récemment abrogé ; mais il est évident que l’incrimination de harcèlement sexuel pour les affaires passées (et jusqu’au nouveau texte…) ne pourra être maintenue et qu’il appartiendra aux Parquets et aux victimes de faits antérieurs à la nouvelle loi de rechercher si une « requalification » en délit de violences volontaires (par exemple) ne peut être envisagée en remplacement de l’incrimination abrogée…
2. Il faut espérer que la rédaction à venir sera suffisamment claire et précise de sorte qu’une nouvelle Question Prioritaire de Constitutionnalité ne puisse venir à nouveau troubler les esprits et troubler le processus judiciaire ; rappelons de ce chef que sur les 209 décisions du Conseil Constitutionnel rendues entre le 28 mai 2010 et le 14 mai 2012 – mis à part la dizaine de décisions de rejet ou de non-lieu -, 115 décisions de conformité ont seulement été proclamées (soit 57,8 %) alors que 36 décisions de non-conformité totale (dont la décision commentée) ont été retenues, ce qui revient à un taux de 18,1 % - et que 28 décisions déclaraient une conformité « avec » ou « sous » réserve -, ce qui laisse la place dans l’avenir au débat judiciaire…
3. Ajoutons pour finir une observation au visa des dispositions du Code du travail : si l’article L.1153-1 du Code du travail, qui réprime le harcèle sexuel (et selon lequel « les agissements de harcèlement de toute personne dans le but d’obtenir des faveurs de nature sexuelle à son profit ou au profit d’un tiers sont interdits »), est évidemment menacé - par ricochet - par la décision du 4 mai 2012, les dispositions légales concernant le harcèlement moral, insérées aux articles 1152-1 à 1152-6, paraissent moins susceptibles de discussion.
Déjà, la définition du harcèlement moral proposée, en Droit social, est plus précise puisqu’elle évoque « les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation (des) conditions de travail susceptibles de porter atteinte (au) droit et à (la) dignité, d’altérer (la) santé ou mentale ou de compromettre (l’) avenir professionnel » ; il sera ajouté que cette définition, issue de la loi du 17 janvier 2002 publiée au Journal Officiel du 18 janvier 2002, avait fait l’objet d’une décision préalable du Conseil Constitutionnel en date du 12 janvier précédent. Il y a donc eu (premier) contrôle de constitutionnalité.
Pour autant, le contrôle a-t-il été complet ? Et certains plaideurs ne tenteront-ils pas de remettre en cause les textes suscités sur le harcèlement moral ?
L’avenir judiciaire nous éclairera.
Cet article n'engage que son auteur.
Crédit photo : © PiX'art photographie - Fotolia.com
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