Garde à vue: les dernières évolutions
Auteur : FORTUNET Eric
Publié le :
22/04/2011
22
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04
2011
Les nouvelles dispositions applicables sont principalement la notification à la personne mise en examen de son "droit au silence", et de son droit a être "assisté par un avocat".
Les nouvelles règles en matière de garde à vueCette nouvelle mission de défense amène le rédacteur de cette chronique à faire le point sur la Loi française aujourd’hui applicable (I), le Droit Européen qui s’impose concurremment (II), avant de rappeler les causes de la réforme de la Question Prioritaire de Constitutionalité (III), pour rappeler ensuite la décision du Conseil Constitutionnel du 30 juillet 2010 et la Loi nouvelle du 14 avril 2011 (IV), ce qui n’empêchera pas de rappeler que le Droit Européen demeure évidemment applicable (V), les droits des individus au regard de la Jurisprudence Européenne étant précisés (VI).
I/ La loi française applicable à ce jour
La Réglementation de la garde à vue se trouve dans les articles 63, 63-1, 63-4 et encore 77 du Code de Procédure Pénale.
La loi du 24 août 1993 a été modifiée à diverses reprises.
Nous savons qu’au dernier état, le gardé à vue a droit à « demander à s’entretenir avec un avocat »… pour une demie heure à l’issue de laquelle l’avocat peut présenter « des observations écrites qui (seront) jointes à la procédure ».
II/ Le droit européen applicable
La Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme consacre, au titre de l’article 6 (notamment paragraphe 1), le droit à un procès équitable.
C’est au visa de ce texte que la Cour Européenne des Droits de l’Homme, dans des arrêts SALDUZ et DAYANAN (contre TURQUIE) rendus les 27 novembre 2008 et 13 octobre 2009, a jugé que pour que ce droit soit effectif et concret, il fallait, en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat :
- dès le début de la mesure,
- et pendant ses interrogatoires.
Ces Jurisprudences seront ci-après sommairement exposées.
Le Droit Européen était en avance sur la Règlementation française qui était donc « inconventionnelle ».
III/ Les causes de la réforme « Q.P.C. »
Ce n’est que depuis 1974 que le Conseil Constitutionnel pouvait – dans le cadre d’un contrôle « a priori » - être saisi par Députés et Sénateurs ; le citoyen n’avait pas qualité pour le saisir.
Le 15 janvier 1975, le Conseil Constitutionnel s’était déclaré incompétent sur la question de la compatibilité des lois par rapport aux Conventions Internationales ; le 24 mai 1975, la Cour de Cassation (suivie le 30 octobre 1989 par le Conseil d’Etat) a pris acte de cette Jurisprudence en reconnaissant ses compétences pour juger de la conventionalité de la loi, notamment au regard des droits et libertés « internationalisés ».
Depuis 1990, il était question d’ouvrir la saisine du Conseil Constitutionnel aux citoyens ; la pression s’est accentuée puisque de plus en plus le citoyen utilisait la règle de Droit international, notamment la Convention C.E.D.H., pour prétendre à l’inapplicabilité en France de certaines lois françaises qui portaient atteinte aux libertés fondamentales garanties par la Convention Européenne…
C’est cette situation qui amenait la France (après les U.S.A. depuis 1803, l’Italie, l’Allemagne…) à ouvrir au citoyen la voie du contrôle de constitutionalité a posteriori par l’institution de la Question Prioritaire de Constitutionalité qui est donc en application depuis le 1er mars 2010.
IV/ La Q.P.C. N° 14-22 (30 juillet 2010) sur la garde à vue et la loi nouvelle
A – La Q.P.C. sur la Garde à Vue
Le Conseil Constitutionnel va obliger le législateur a réformer le système français de la garde à vue.
Saisi par arrêt de la Cour de Cassation du 31 mai 2010, le Conseil Constitutionnel va en effet:
- constater les multiples modifications survenues en 17 ans à la loi d’août 1993 qu’il avait examinée dans le cadre de son contrôle a priori,
- relever un « recours de plus en plus fréquent à la garde à vue », ce qui a « modifié l’équilibre des pouvoirs et des droits fixés par le Code de Procédure Pénale »,
- relever que 3 % seulement des affaires correctionnelles passaient par le canal du Juge d’instruction dans la mesure où postérieurement à la loi du 24 août 1993 « la pratique du traitement dit en temps réel des procédures pénales a été généralisée », ce qui conduit à ce que la décision du Ministère Public soit prise sur le rapport de l’officier de police judiciaire (OPJ) avant fin de la garde à vue…, ce dont il résulte que « une personne est désormais le plus souvent jugée sur la base des seuls éléments de preuve rassemblés avant l’expiration de sa garde à vue, en particulier sur les aveux qu’elle a pu faire pendant celle-ci ; que la garde à vue est ainsi souvent devenue la phase principale de constitution du dossier de la procédure en vue du jugement de la personne mise en cause »,
- relever en outre que la liste des personnes ayant qualité d’OPJ, liste restreinte (article 16 du Code de Procédure Pénale) dans ses rédactions de 1978 et 1985, avait été très largement ouverte par divers textes (1994, 1995, 1996, 1998, 2003 et 2006), ce dont il résultait « une réduction des exigences conditionnant l’attribution de la qualité d’Officier de Police Judiciaire aux fonctionnaires de la Police Nationale et aux militaires de la Gendarmerie Nationale », ce qui aboutissait au constat que « entre 1993 et 2009, le nombre de ces fonctionnaires… est passé de 25.000 à 53.000 »,
- considérer que « ces évolutions ont contribué à banaliser le recours à la garde à vue, y compris pour des infractions mineures… plus de 790.000 mesures de garde à vue ont été décidés en 2009 » (il n’y en avait 200.000 seulement à l’origine).
Le Conseil Constitutionnel (considérants 14 à 18) va alors décider d'un « réexamen de la Constitutionalité des dispositions contestées ».
Par son "considérant" 28, il précise alors que l’article 63-4 du Code de Procédure Pénale « ne permet pas à la personne ainsi interrogée, alors qu’elle est retenue contre sa volonté, de bénéficier de l’assistance effective d’un avocat ; qu’une telle restriction au droit de la défense est imposée de façon générale sans considération des circonstances particulières susceptibles de la justifier, pour rassembler ou conserver les preuves ou assurer la protection des personnes ; qu’au demeurant la personne gardée à vue ne reçoit pas la notification de son droit de garder le silence ».
C’est au terme de cette analyse que le Conseil Constitutionnel déclare inconstitutionnelle la Règlementation française, sauf à retarder au 1er juillet 2011 l’abrogation des textes (par souci d’éviter des atteintes à l’Ordre public, de permettre la recherche des auteurs d’infractions et d’éviter des conséquences manifestement excessives), en invitant l'Etat à prendre des dispositions conformes.
Il va de soi que cette décision du Conseil Constitutionnel ne s’inspire pas (en tout cas directement !) de la C.E.D.H. ; elle vise comme textes fondamentaux et droits fondamentaux : le préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789 (articles 7, 9 et 16).
B – La loi nouvelle applicable au 1er juin 2011
C’est en exécution de cette décision que l’Assemblée Nationale a définitivement voté la loi du 14 avril 2011 - prévue pour être applicable au plus tard le 1er juillet 2011 - publiée au Journal Officiel le 15 avril 2011 et donc en fait applicable (article 26 : 1er jour du deuxième mois) dés le 1er juin.
Il y a toutefois fort a parier que la chancellerie proposera l'application immédiate de la Loi nouvelle.
Les nouvelles dispositions applicables sont principalement la notification à la personne mise en examen de son "droit au silence" (article 63-1 3eme nouveau du code de procédure pénale), de son droit a être "assisté par un avocat" (art. 63-3-1 nouveau) qui sera informé de la nature et de la date de l'infraction sur laquelle porte l'enquête, mais qui ne pourra consulter que le procès verbal de notification du placement en garde à vue, du certificat médical délivré à l'occasion de cette mesure et des procès-verbaux d'audition de la personne gardée à vue (art.63-4-1 nouveau). Il sera dit ci après qu'il s'agit d'une connaissance du dossier "a minima" très inférieure à ce qui a été jugé comme un droit par la Cour Européenne des droits de l'homme.
Certes l'avocat pourra "assister" aux auditions et confrontations et même… "prendre des notes"(art 63-4-2 nouveau) ce dont il faut peut-être remercier le législateur… ! mais quelques exceptions ont été insérées au texte.
Notamment, dans certaines affaires particulièrement graves (celles qui nécessitent encore plus que d'autre le respect des droits de la défense sans doute) la présence et l'assistance de l'avocat pourra être différée de 12 voire de 24 heures (art.63-4-2 et 706-88 nouveaux notamment).
Par ailleurs, et sur demande de l'officier de police judiciaire, le procureur de la république peut demander le remplacement d'un avocat (art.63-4-3 nouveau).
Au terme de l'audition l'avocat peut poser des questions et remettre une note qui devra être jointe au procès-verbal.
Rappelons que – parallélisme des formes – la victime pourra dans les mêmes conditions, être assistée d'un avocat.
Soulignons enfin – pour sourire – que l'article 323-4 nouveau du code des douanes prévoit qu'en cas de retenue douanière –celle-ci exercée sous le contrôle du procureur de la république - c'est ce dernier "qui assure la sauvegarde des droits de la personne retenue" ; est-ce reconnaître que les droits doivent être sauvegardés ? et que les agents des douanes seraient moins respectueux de ces droits que les Officiers de Police Judiciaire ?
V/ Le droit européen demeure évidemment applicable
C’est ce que vient de juger la Cour de Cassation dans ses arrêts du 15 avril. Elle n'a pas jugé autre chose…
Dans ses 4 arrêts, la Cour rappelle que « les états adhérents à la Convention de Sauvegarde… sont tenus de respecter les décisions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme sans attendre d’être attaqués devant elle ni d’avoir modifié leur Législation ».
Dans les 3 arrêts de rejet rendus sur pourvoi du Procureur Général contre les arrêts du Premier Président de la Cour de Rennes :
- alors que dans le pourvoi du Procureur Général, il était relevé que l’arrêt contesté avait, au regard des décisions SALDUZ et DAYANAN, relevé que pour un procès équitable, « il faut en règle générale que l’accès à un avocat soit consenti dès le premier interrogatoire d’un suspect par la Police, sauf à démontrer qu’il existe des raisons impérieuses de restreindre ce droit et que l’équité de la procédure requiert que l’accusé puisse obtenir toute la vaste gamme d’interventions qui sont propres au Conseil ; qu’à cet égard, la discussion de l’affaire, l’organisation de la défense, la recherche des preuves favorables à l’accusé, la préparation des interrogatoires, le soutien de l’accusé en détresse sont des éléments fondamentaux de la défense que l’avocat doit librement exercer »…
- la Cour de Cassation rejette les pourvois en retenant qu’il faut « en règle générale, que la personne placée en garde à vue puisse bénéficier de l’assistance d’un avocat dès le début de la mesure et pendant ses interrogatoires »:
* le Premier Président – « en l’absence d’indication de l’heure à laquelle Madame Y… avait pu s’entretenir avec un avocat", ce qui empêchait « de savoir si elle avait bénéficié de garanties prévues à l’article 6 paragraphe 3 » - ayant pu en déduire que la procédure n’était pas régulière, (arrêt 591 pourvoi F 10-30.313).
* Le Premier Président en relevant que « Madame X. avait demandé à s’entretenir avec un avocat dès le début de la mesure (et que) il avait été procédé immédiatement et sans attendre l’arrivée de l’avocat, à son interrogatoire », a pu « exactement en déduire que la procédure n’était pas régulière » (arrêt 590 et arrêt 592 pourvois D 10-30.242 et J 10-30.316),
Dans le seul arrêt de cassation formé par la personne gardée à vue, la Cour de Cassation casse un arrêt de la Cour d'Appel de Bordeaux qui avait retenu pour régulière la procédure déférée à la Cour de Cassation aux motifs erronés d'une part que les arrêts de la Cour Européenne des Droits de l’Homme ne lierait que les Etats membres directement concernés par les recours sur lesquels elle statue et d'autre part que ladite Convention n’imposerait pas que toute personne interpellée ne puisse être entendue seulement qu'en présence de son avocat et ce au contraire des dispositions actuelles du Code de Procédure Pénale.
Il était déjà indiscutable et il est aujourd'hui jugé en la matière que la C.E.D.H. est évidemment applicable et que la présence de l'avocat au coté du gardé à vue s'impose en respect de la Conventions Européenne signée par la France.
Les arrêts de la Cour de Cassation ne disent donc pas (contrairement au commentaire médiatique et contrairement à la déclaration de certains hommes politiques) que la Cour de Cassation aurait décidé d’anticiper l’application de la loi.
La Cour de Cassation n’a fait qu’appliquer la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui est indiscutablement applicable en France.
Ainsi, jusqu’au 1er juin 2011 (application de la loi nouvelle), seule la Convention Européenne des Droits de l’Homme peut être invoquée par la défense (même si la chancellerie décidait d'une application anticipée de la Loi…),
Et à partir du 1er juin 2011 la loi nouvelle – concurremment à la Convention Européenne – pourra être invoquée.
VI - Les droits au regard de la jurisprudence européenne
L’analyse de la Jurisprudence européenne semble permettre de dire que le droit européenne à l’assistance effective d’un avocat paraît beaucoup plus large que celui que permet la loi nouvelle ;
La référence à la notion d’assistance effective implique en effet semble t’il :
- la vérification de la notification au suspect de son droit au silence,
- la connaissance de la qualification des faits poursuivis,
- l’accès de l’avocat au dossier (à tout le dossier) sur simple demande auprès des OPJ,
- la présence de l’avocat non seulement aux auditions et confrontations, mais également lors des perquisitions (ce qui posera des problèmes d'indemnisation et de remboursement de frais),
- la garantie de la confidentialité des entretiens dans des locaux adaptés,
- le droit de poser des questions à l’issue de chaque acte de procédure et exiger en cas de refus qu’elles soient actées au dossier,
- le droit à s’entretenir librement avec le gardé à vue.
C’est ce que l’on entend sur le plan européen d’un libre exercice des droits de la défense [arrêt DAYANAN du 13 octobre 2009 dans son attendu n° 32 textuellement repris par la Cour de Cassation dans son arrêt n° 592, pourvoi J 10-30316 (sauf sur le contrôle des conditions de détention, oublié par la Juridiction Suprême) ; cet arrêt peut être obtenu sur Internet, folio « DAYANAN »].
Indiscutablement, les droits des personnes placés en garde à vue vont être mieux assurés…, ce dont on doit conclure non pas que les enquêtes ne pourraient plus se dérouler… mais que les erreurs judiciaires seront réduites.
La Justice doit y trouver son compte.
Garde à vue: rôle des avocats et rémunérationVoir l'article d'Eric Fortunet Garde à vue: le débat sur le rôle des avocats et la question de la rémunération.
Cet article n'engage que son auteur.
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