Garde à vue: le débat sur le rôle des avocats et la question de la rémunération

Garde à vue: le débat sur le rôle des avocats et la question de la rémunération

Auteur : FORTUNET Eric
Publié le : 22/04/2011 22 avril avr. 04 2011

Il n'est pas discutable en droit que la convention Européenne des droits de l'homme, applicable dans notre pays, accorde aux justiciables mis en garde à vue des droits que le Code de Procédure Pénale ne prévoyait pas.

Les avocats respectent leur serment
Les médias se sont tout d’abord fait l’écho l’été dernier de la décision du Conseil Constitutionnel (sur Q.P.C.) disant la Législation française sur la garde à vue non conforme à la Constitution (mais donnant à l’Etat un délai au 1er juillet 2011 pour « régulariser » la situation), ensuite des travaux parlementaires et de la loi finalement votée le 14 avril 2011 (loi qui sera applicable au 1er juin pour avoir été publiée au Journal Officiel le 15 avril 2011) réformant les dispositions inconstitutionnelles du Code de Procédure Pénale, encore de 4 arrêts rendus par la Cour de Cassation le 15 avril 2011 et qui sont parfois présentés comme ayant décidé d’appliquer immédiatement la loi nouvelle (ce qui est strictement erroné), enfin de certaines attaques portées contre la profession d’avocat dont l’intervention des membres lors de la garde à vue inquiéterait certains (notamment ceux qui sont en charge de l’enquête) alors que les avocats manqueraient de délicatesse parce que la question de leur rémunération serait insuffisamment examinée.

Avant de faire le point de la situation de droit applicable (en exposant les nouvelles règles…), répondons dans une observation préliminaire aux critiques injustement portées à l’encontre des membres du Barreau.


Les critiques injustement dirigées contre le Barreau

L'avocat prête serment "comme avocat d'exercer (mes) fonctions avec dignité, conscience, indépendance, probité et humanité". Il doit respecter ce serment et donc assurer la défense…

La France a ratifié la Convention Européenne des Droits de l’Hommes. Ce n'est pas une décision du Barreau, mais de nos édiles politiques

Il n'est pas discutable en droit que cette convention, applicable dans notre pays, accorde aux justiciables mis en garde à vue des droits que le Code de Procédure Pénale ne prévoyait pas.

N’est-il pas légitime que les membres du Barreau réclament au profit de leurs clients l’application de la Convention Européenne des Droits de l’Homme qui est de droit applicable ?

Ne le ferait-il pas, qu’ils failliraient totalement à leur mission et à leur serment.


Indépendamment de l’application de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, il sera rappelé ce que le Conseil Constitutionnel (composé dit-on habituellement des 9 sages…) a relevé l'été dernier: l’évolution des techniques de gestion des dossiers pénaux (depuis 1993) jointe à l’évolution des conditions de recrutement des Officiers de Police Judiciaire (depuis la même époque) ont abouti au constat par le Conseil Constitutionnel d’une multiplication inacceptable des gardes à vue et au constat d'une l’utilisation sans doute abusive des aveux obtenus en garde à vue dans des conditions qui n’étaient pas respectueuses des principes fondamentaux rappelés par le Conseil Constitutionnel, et notamment le préambule de la Constitution de 1946 et la Déclaration des Droits de l’Homme.

Il est à l’honneur des membres du Barreau d’avoir obtenu le réexamen par le Conseil Constitutionnel de dispositions de procédure pénale qui étaient appliquées mais qui n’étaient plus conformes aux droits fondamentaux qui doivent être reconnus dans un pays démocratique (c’est ce que le Conseil Constitutionnel a jugé le 30 juillet 2010 sur Q.P.C. 14-22).

Les membres du Barreau ne l’auraient-ils pas fait qu’ils auraient également failli à leur mission.


En définitive, tout comme le médecin - par respect du serment d'Hippocrate qu'il a prêté - doit des soins , l’avocat doit - par respect du serment qu'il a prêté – défendre en revendiquant l'application de la Loi et des Conventions internationales applicable en France (textes dont il n'est ni l'auteur, ni le signataire); et pour ce qui est de la garde à vue, les avocats ont merveilleusement "défendu" puisqu’ils ont obtenu à la fois l’application de textes européens protecteurs de la liberté du citoyen et – par invocation d'une question prioritaire de constitutionnalité - la réforme d’un système en vigueur qui était inconstitutionnel.



Au lieu de célébrer ces victoires du droit, certains croient devoir critiquer la profession d'avocat qui – à l'occasion - dénonce le fait qu’aucune disposition sérieuse n’a été prise pour assurer le financement de l’intervention des avocats dans le cadre de leurs interventions nées des nouvelles dispositions jurisprudentielles et légales applicables.

N’entendons-nous pas pourtant tous les jours tel ou tel Syndicat, tel ou tel membre de telle ou telle profession évoquer les conditions, par lui jugées déplorables ou insuffisantes, de sa rémunération ?

Les médecins n’ont-ils pas – dans le système pour eux très confortable qu’est le système de répartition des dépenses de la Sécurité Sociale – obtenu l’organisation de permanences normalement rémunérées la nuit ou le week-end ?

La nouvelle Règlementation de la garde à vue doit permettre à toute personne mise en examen d’obtenir la visite d’un avocat (son avocat s’il peut être joint, mais à défaut un avocat de permanence qui sera le plus souvent un jeune avocat) afin d’être éclairée sur ses droits et d'être assistée pendant les interrogatoires et les confrontations notamment.

La garde à vue peut durer 24 h mais elle peut être prolongée. Il peut y avoir plusieurs interrogatoires successifs, plusieurs confrontations. I l faudra prendre connaissance du dossier, si l'on veut que la défense soit effectivement assurée.

N'’est-il pas normal que l’avocat prétende à la fixation d'une juste rémunération du travail que la Convention Européenne et la Loi lui imposent (même si, dans l’intérêt des citoyens, le Barreau l’a revendiquée) ?

Imagine-t-on la disponibilité qui sera nécessaire pour les avocats « de garde » (c'est bien la terminologie qui s'impose pour la mission complémentaire à la charge du barreau) et la désorganisation qui risque de survenir dans certains Cabinets lorsqu’il conviendra d’assister un client placé en garde à vue (et parfois sans raison, ce que l’enquête pourra établir) pendant 12, 24 voire 48 h ?

Dans la mesure où les avocats sont des professionnels libéraux – en tant que tels soumis à de lourdes charges – avec mission légale d’assurer la défense de leurs concitoyens, il est normal que dans l’intérêt même de la mission de service public qu’ils assument, ils s’interrogent sur les conditions économiques dans lesquelles de nouvelles missions leur sont confiées (une fois encore par la Loi et par la Convention Européenne ratifiée par la France).

Parce qu'ils sont soucieux d'équilibrer les charges de leurs entreprises, il est normal qu'ils discutent la pertinence d'un "forfait garde à vue" qui risque de ne pas couvrir le coût réel de leurs interventions.

Le débat est légitime; et tout rejet de principe du droit à évoquer, pour une mission légale nouvelle, le droit à une légitime rémunération est inacceptable.

Ces principes devaient être rappelés.

Les dernières évolutions sur la garde à vueVoir l'article d'Eric Fortunet Garde à vue: les dernières évolutions.





Cet article n'engage que son auteur.

Crédit photo : © Paty Wingrove - Fotolia.com

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